De l'euphorie à la panique : penser la crise financière

Couverture du livre 'De l'euphorie à la panique financière'


Caractéristiques

Auteur : André ORLEAN
Publication : 2009
Editeur : Editions Rue d'Ulm
ISBN : 978-2-10-049949-6
Nombre de pages : 114
Prix : 7 Euros


Quatrième de couverture

Cet opuscule ne cherche pas à raconter la crise. Il cherche à comprendre. Trois questions sont abordées : pourquoi des crises financières ? pourquoi celle-ci ? pourquoi une telle ampleur ? Pour y répondre, une seule et même hypothèse : les marchés financiers sont, par nature, instables. Ils ne savent pas s'autocorriger comme le font les marchés de biens ordinaires. Lorsque les prix d'actifs s'écartent de l'équilibre, aucune force de rappel ne vient faire obstacle à leur dérive. Tout au contraire, la concurrence financière pousse au mimétisme, à la hausse comme à la baisse. Ainsi, il devient possible de comprendre la mécanique de l'emballement euphorique comme celle de la panique et du krach.

Cette réflexion a pour originalité de placer au coeur de l'analyse la logique des prix elle-même et non pas, comme il est fait le plus souvent, la titrisation et son opacité. Le débat n'est pas seulement académique. Dans un cas, la régulation souhaitée maintient les marchés financiers au centre de son dispositif puisqu'elle considère que ce ne sont pas eux qui sont à l'origine des défaillances mais leur environnement institutionnel. En conséquence, c'est celui-ci qu'il faut réguler. Dans l'autre cas, la régulation vise à revenir sur la primautée accordée à la finance de marché. Il s'ensuit deux conceptions tout à fait distinctes de l'architecture financière à construire.


En bref

La crise des subprime est dans son principe d'un très grand classicisme : une bulle immobilière associée à une bulle de crédit. L'histoire financière nous en a fourni de nombreux exemples. On sait qu'un tel mélange est explosif. Il conduit à des crises bancaires majeures. Quel mécanisme est à l'origine de cette double bulle ? Comment est-il possible qu'une configuration de ce type se reproduise avec une telle systématicité alors même que les économistes ont souligné à maintes reprises son extrême toxicité ?

L'analyse ici proposée met l'accent sur l'instabilité propre aux marchés d'actifs, en l'occurrence le marché immobilier. Lorsque son prix augmente, loin de décourager les acheteurs comme ce serait le cas sur un marché de biens ordinaires, cette augmentation rend les logements encore plus attractifs. Il en est ainsi parce que le logement est aussi perçu comme un investissement. Or, quand son prix augmente, son rendement augmente, ce qui attire de nouveaux investisseurs en quête de profitabilité.

Cette analyse pose cependant la question de la "myopie" des investisseurs qui semblent ne pas considérer la possibilité d'un retournement des prix. Ce qu'on appelle "l'aveuglement au désastre". Cette question est fondamentale. Il s'agit de montrer quelles forces cognitives et économiques pèsent sur la prise de décision des acteurs. Il faut repousser l'hypothèse d'irrationalité. Dans le cas étudié, on souligne le rôle structurant qu'a joué le fait que le marché états-unien n'a jamais connu de baisse générale du prix de l'immobilier depuis la grande crise. On montre qu'en conséquence, un grand nombre d'acteurs n'ont pas cru à une baisse généralisée des prix, au premier rang desquels Alan Greenspan au faîte de sa gloire et de son influence. S'ils se sont trompés, leur argumentaire ne manquait pas de force de conviction.

Si l'hypothèse d'instabilité de la finance de marché suffit à rendre intelligible la logique générale que suit la crise, elle ne permet pas d'en saisir l'ampleur qui assurément est hors normes et demande à être analysée en tant que telle. C'est la question du contexte financier spécifique qui doit alors être abordée, tout particulièrement l'impact de la titrisation. Avec celle-ci, le crédit immobilier qui jusqu'alors restait enfermé dans les comptes des banques s'est transformé en un titre financier comme les autres. Du fait de l'interconnexion généralisée des marchés, les produits structurés émis par l'immobilier états-uniens se sont diffusés à l'ensemble du monde financier. C'est, en conséquence, l'ensemble de la planète qui a réagi au choc des subprimes en août 2007.

Symétriquement à la période d'euphorie, le déclin des prix financiers provoqué par ce choc déclenche une spirale baissière via la$ déflation des bilans. Bien que les prix chutent, personne ne se déclare prêt à acheter. Les grandes institutions financières et bancaires luttent pour leur survie à travers des ventes de détresse afin d'obtenir les liquidités dont elles ont impérativement besoin. Par ce mécanisme, la crise se propage sans cesse à de nouvelles classes d'actifs.


Introduction

En février 2009, au moment où ce texte est rédigé, un premier chapitre de la crise financière dite des subprimes vient de se clore. On y a vu l'éclatement d'une bulle spéculative, au départ circonscrite à un compartiment limité du marché hypothécaire états-unien, dégénérer en une crise bancaire planétaire d'une intensité inédite depuis le début des années 1930. On y a vu les institutions financières privées, pourtant au zénith de leur puissance et de leur renommée, gavées de profit et de bonus, se trouver totalement désarmées face à ces évènements et, phénomène sans précédent, du jour au lendemain, s'arrêter de fonctionner. On y a vu enfin les pouvoirs publics intervenir massivement, sur une échelle encore inconnue, dans le but de calmer provisoirement le jeu et de permettre une remise en marche progressive du marché du crédit. En quelques mois, ce sont toutes les structures fondamentales du capitalisme financier qui se sont écroulées et nos sociétés n'ont dû leur préservation qu'aux protections apportées de toute urgence par les Etats.

Il est difficile d'imaginer, dans le domaine de l'économie, une séquence d'évènements plus extrêmes, ni plus effrayants. Le choc ressenti par l'opinion publique est à proportion de cette démesure. Pendant de longs jours, elle a eu le souffle coupé devant la cascade ininterrompue des mauvaises nouvelles, se demandant avec angoisse jusqu'où irait la descente aux enfers. Même si le spectre d'un effondrement bancaire et financier s'est, pour l'instant, quelque peu éloigné, l'inquiétude est toujours présente et les questions en suspens restent vives. Comment une telle catastrophe a-t-elle été possible ? Que doit-on faire pour qu'elle ne re reproduise pas ? Ces interrogations sont d'autant plus pressantes et anxieuses que rien ne laissait prévoir de tels désordres. Personne n'avait mis en garde les populations contre la possibilité de tels faits ; nulle déclaration n'avertissait que des évènements d'une telle gravité étaient susceptibles de se produire et qu'il fallait s'y préparer. En réalité, il faut le dire et le répéter, cette crise a été une immense surprise, et au premier chef pour les hommes de la finance eux-mêmes. Ils n'avaient jamais imaginé qu'un chaos aussi total puisse survenir. Cela met en exergue un élément essentiel de la conjoncture présente : la crise ne se résume pas à sa dimension économique, elle est tout autant intellectuelle et idéologique. On ne doit pas s'en étonner : les grandes crises sont, par natures, doubles, matérielles et spirituelles. Il en est toujours ainsi. Lorsque l'organisation économique s'effondre, s'effondrent également les conceptions qui ont présidé à sa construction. Les déboires matériels sont la preuve manifeste que quelque chose n'allait pas dans les analyses théoriques fondamentales. La "révolution libérale" initiée par l'accession au pouvoir des gouvernements Thatcher (3 mai 1979) et Reagan (20 janvier 1981) subit ici sa première grande épreuve de légitimité. D'où un immense désarroi du côté des plus lucides ou des moins opportunistes parmi ceux qui nous dirigent. On peut dire qu'un cycle s'achève. Il nous faut concevoir un nouveau chemin. Mais, pour cela, une pensée nouvelle doit s'affirmer. Ce qui ne se fera pas en un jour.

Personne mieux qu'Allan Greenspan n'illustre cette conjoncture idéologique si particulière. Il est exemplaire au moins pour deux raisons. D'une part, en ce qu'il a toujours été un partisan convaincu du libéralisme et de l'efficience des marchés. Greenspan croit depuis toujours en l'efficacité des forces concurrentielles pour conduire à une économie forte et considère que l'intervention de l'Etat en ce domaine est néfaste. "Rien dans la régulation fédérale ne la rend supérieure à la régulation des marchés", déclare-t-il en 19941. Ou encore : "D'après mon expérience, les banquiers en savent beaucoup plus sur le fonctionnement et les risques de leurs contreparties que les régulateurs2." D'autre part, et c'est là le point essentiel, il ne fut pas seulement un idéologue militant : Greespan est exemplaire de par le rôle central qui fut le sien à la tête de la Réserve fédérale dans la dérégulation du système financier. Président de la banque centrale états-unienne pendant près de 19 ans, entre 1987 et 20063, son influence a été déterminante pour ce qui est de l'évolution des structures financières comme de la conduite de la politique conjoncturelle. Pour ces deux raisons, idéologique et politique, il incarne mieux que personne le libéralisme financier des trente dernières années. Il est, à lui seul, le parfait représentant des certitudes qui, depuis le début des années 1980, dominent les esprits et façonnent le monde. Aussi faut-il prendre très au sérieux ses déclarations d'octobre 2008 devant une commission parlementaire dans lesquelles il avoue publiquement s'être trompé. Une telle autocritique est trop rare, voire exceptionnelle, pour ne pas être soulignée; surtout à ce niveau de responsabilité :

J'ai fait une erreur en pensant que des organisations mues par la recherche de leur intérêt privé, en particulier les banques et autres organisations de ce genre, étaient, pour cette raison, les mieux à même de protéger leurs actionnaires et leurs investissements [...] Quelque chose qui semblait un édifice très solide, et même un pilier fondamental de la concurrence et des marchés libres, s'est écroulé. Et j'en ai été choqué [...] j'ai découvert une faille dans mon idéologie. Je ne sais à quel degré elle est significative et permanente, mais j'ai été très éprouvé [...] J'ai découvert une erreur dans le modèle dont je pensais qu'il expliquait la structure fondamentale du fonctionnement du monde tel qu'il est4.

Pour quelqu'un qui a établi toute sa réputation sur l'obscurité de ses déclarations alambiquées, cette position ne manque pas de clarté, ni même de courage. Alan Greespan reconnaît publiquement que la crise actuelle porte un démenti aux thèses libérales dans ce qu'elles ont de plus fondamental, l'aptitude supposée de l'intérêt privé à construire des médiations financières efficaces. Voici ce sur quoi Greenspan nous invite à réfléchir.

Cette exigence d'intelligibilité que l'on trouve présente aussi bien dans le désarroi de Greenspan que dans l'inquiétude de l'opinion publique, c'est à cela que le présent texte cherche à répondre. Il s'agit de proposer au lecteur une conception synthétique de la crise. Ce qui suppose un point de vue. La thèse que nous défendrons est que cette crise a pour origine la primauté accordée à la finance de marché. Plus précisément, la cause des désordres se trouve dans l'instabilité propre aux marchés financiers, à savoir leur incapacité à faire en sorte que les évolutions de prix soient maintenues dans des limites raisonnables, à la hausse comme à la baisse. Cette crise est donc endogène selon nous. Autrement dit, il s'agit d'en revenir à la question théorique centrale, celle de l'efficience des marchés financiers. C'est là le coeur du problème et non pas la prétendue apparition de comportements cupides ou irrationnels. La crise ne vient pas de ce que les règles du jeu financier ont été contournées mais du fait qu'elles ont été suivies. Mais notre diagnostic reste pour l'instant minoritaire. Le point de vue dominant, qui ne manque pas d'arguments solides, défend a contrario l'idée que la logique financière est, en son principe, parfaitement efficiente mais qu'elle s'est trouvée fortuitement entravée par la présence de forces pertubatrices exogènes. Est désignée en l'occurence comme coupable une titrisation mal faite parce que trop opaque et trop complexe. En faisant obstacle à la logique concurrentielle, cette titrisation mal contrôlée aurait conduit à des situations aberrantes. Ainsi la finance de marché se trouve exonérée de toute responsabilité. Elle continue même à être pensée comme étant le seul mécanisme capable de réaliser une allocation efficace de capital. Tel est le diagnostic le plus communément retenu aujourd'hui. Il s'oppose au nôtre, non seulement théoriquement sur la question essentielle de l'efficience, mais également par ses conséquences pratiques.

En effet, si les deux analyses militent pour le retour à une forte régulation, elles le font selon des perspectives contraires. Dans un cas, la régulation souhaitée, non seulement maintient la primautée accordée à la finance de marché, mais fait même du renforcement de cette primauté son objectif explicite. Il s'agit, par une construction institutionnelle adéquate, de faire en sorte que le mécanisme de prix puisse faire connaître la plénitude de ses supposées potentialités régulatrices. Il faut donc lutter contre tout ce qui l'entrave et le dévoie, à la manière de la titrisation des années passées. Son mot d'ordre est la transparence de l'information et de l'évaluation mise au service de la liquidité financière. Dans l'autre cas, il s'agit tout au contraire d'une régulation qui a pour but de fixer des bornes strictes à l'extension des marchés financiers, d'en restreindre l'application à des espaces économiques bien spécifiés. Il faut revenir sur la liberté totale de circulation laissée au capital. Notre mot d'ordre est le cloisonnement. Confronter ces deux diagnostics est, à nos yeux l'enjeu essentiel du débat théorique qui doit être mené aujourd'hui. Ce n'est pas simple tant on a pris l'habitude de faire de la concurrence l'alpha et l'oméga de la politique économique. Par ailleurs, la thèse de l'efficience s'appuie sur un corpus théorique d'une grande sophistication et bénéficie, de ce fait, d'un argumentaire solide qu'on ne peut balayer d'un revers de main5. Pour mener ce débat, le présent livre partira de la crise elle-même en en décryptant les mécanismes essentiels au fur et à mesure de leur apparition.

1 Cité in "The financial crisis and the role of federal regulators", Committee on Oversight and Government Reform, Committee Hearings of the US House of Representatives, 23 oct. 2008, p. 31.

2 ibid., p. 32.

3 Du 11 août 1987 au 31 janvier 2006, soit pendant cinq mandats.

4 "I made a mistake in presuming that self-interest of organizations, specially banks and others, were such is that they were best capable of protecting their own shareholders and their equity in the firms [...] So the problem here is something which looked to be a very solid edifice, and, indeed, a critical pillar to market competition and free markets, did break down [...] I found a flaw [in my ideology], I don't know how significant or permanent it is, but I have been very distressed by that fact [...] I found a flaw in the model that I perceived is the critical functioning structure that defines how the world works, so to speak." (ibid.)

5 On trouvera une présentation de cette controverse théorique dans A. Orléan, "Les marchés financiers sont-ils rationnels ?", in Ph. Askenazy et D. Cohen (éd.), Vingt-sept questions d'économie contemporaine, Paris, Albin Michel, 2008, p. 63-85.


Sommaire

Introduction11
L'euphorie 16
     La bulle immobilière17
     La bulle du crédit22
     Les mécanismes de l'euphorie28
L'aveuglement au désastre 33
     L'évaluation du risque de crédit34
     L'influence de l'opinion collective42
La titrisation 52
     Une révolution financière53
     La sous-estimation du risque et le rôle des agences de notation58
La crise 69
     La panique d'août 200770
     La déflation de bilan ou comment la crise s'approfondit80
     La course à la liquidité : le rôle du wholesale funding93
Conclusion : l'instabilité de la finance de marché 99
Lexique 101
Bibliographie 105

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